Le 1er avril 2018, nous partons aux morilles, comme tous les printemps. Sitôt franchi le pas de la porte : une morille dans le jardin. Avançons nous : de type Morchella elata. Le lendemain, plusieurs autres morilles autour de la première. Puis les jours suivants, pendant deux grosses semaines. Il y a donc un truc. La pousse a lieu autour de bacs potagers récemment déplacés (à l’automne 2017), mais surtout remplis de cartons de déménagement tassés et de feuilles pour faire crever du chiendent. Deux ans avant, le coin avait été retourné à la pelleteuse et la mauvaise terre ré-engazonnée sans précaution particulière. Un mirabellier infesté d'armillaires ombre le tout de son maigre feuillage. Voilà pour le cadre.
Mes recherches sur la culture des
morilles démarrent donc comme ça en 2018. Je fais un tour sur internet persuadé de
tomber sur pléthore d’infos. Cartons et morilles sont certes des mots clefs qui
donnent des résultats intéressants, mais pas grand chose d'autre à se mettre sous la dent. Poussons la recherche : plein d’infos ressassées sur la culture des morilles sont issues de sources anciennes rarement citées dans leur version originale, ni dans leur intégralité, ni avec leur référence exacte. Le tout est d'une exaspérante banalité. C’est un poil mieux en
anglais. Le procédé Ower indoor et l’histoire du Baron d’Yvoire, je connaissais
déjà depuis longtemps, mais je n'avais pas spécialement eu envie d’approfondir dans la mesure où les
récoltes dans la nature me donnaient satisfaction en termes de quantité. Mais
nouveaux paramètres d’importance : je dispose depuis peu d’un terrain clôturé et je n'ai plus le temps d'aller aux morilles pour des raisons diverses. De
plus faire de la bagnole une heure pour ramasser une poignée de morilles (ou rentrer
bredouille) me paraît énergétiquement absurde. Je réserve ça pour les cèpes dont la
sortie suit une règle plus reproductible qui permet de mieux rentabiliser son gas-oil. La motivation pour obtenir des morilles au jardin devient donc
suffisante pour sauter le pas et s’intéresser à leur culture. Hors de question bien sûr de payer quoi que ce soit à qui que ce soit pour une pseudo-recette secrète ou des souches random ramenées par avion en loucedé au milieu des chaussettes sales (Quoi ? Y'a que moi qui fait ça ?). Non, ici on est là pour hacker la culture des morilles du terroir avec la bonne vieille méthode scientifique et jouer dans son jardin !
Un rapide tour de la question
montre qu’un fossé de connaissances, que dis-je, de méthodologie, sépare la bibliographie scientifique des
sites internet francophones traitant de la culture des morilles. J’ai donc eu envie de tout reprendre
à zéro : qu’ont vraiment écrit ces d’Yvoire, Molliard, Costantin, Cailleux,
Fron, Matruchot, etc., cités (et mal reproduits dans l'ensemble) souvent de seconde main ? Cette bibliographie s’est en
fait révélée passionnante par son aspect historique mais conclut sur finalement
pas grand-chose : les morilles poussent toujours quand et où elles veulent,
quand bien même la culture du mycélium et l'obtention des sclérotes sont d’une facilité déconcertante in vitro. En
science, cela s’appelle avoir des paramètres non maîtrisés. Il faut donc trouver
les paramètres communs à toutes les expériences historiques menant à des fructifications que les auteurs n’ont
pas su maîtriser ou qu’ils n’ont pas souhaité reporter (les trouvant secondaires,
superflus ou encore absurdes par exemple), ou à l’inverse trouver des paramètres
non maîtrisés potentiels qui ne remettent pas en cause les conclusions
historiques. Exit donc les substrats (pommes, papiers, topinambours), pH
(basique), timing de plantation (automne) et micronutriments (calcium). La
gamme favorable de ces paramètres est largement connue et ils sont non suffisants pour
amener à une fructification systématique.
La bibliographie plus récente (Ower, Volk, Stamets, Cotter, Tan, Liu, etc.) mettra donc en évidence quelques uns de ces paramètres cachés : le rapatriement des nutriments vers le point le
plus ancien du mycélium situé en milieu pauvre et la vernalisation et lessivage obligatoire des
sclérotes. Effet certain du type de souche (clade et caryotype) et de son vieillissement. Ces paramètres restent cohérents avec la
bibliographie ancienne sur la culture des morilles. Aucun auteur ancien ne donne sa méthode d’inoculation et
pour cause : ce paramètre est tout à fait anodin et évident pour tous les
champignons… sauf la morille. On peut même conjecturer que l’inoculation était
faite comme avec Agaricus bisporus (directement dans la couche nutritive avec des souches plus ou moins sénescentes), vu
les antécédents bibliographiques des auteurs, soit exactement ce qu’il ne
fallait pas faire. Les réussites restaient donc fortuites et probablement liées
à des souches sauvages présentes dans le sol (ce dont se défendait Molliard mais
avec des arguments de systématique comparative difficilement défendables aujourd’hui). Comme
aucun n’indiquait le lieu de sortie des morilles par rapport à la source de
carbone, le rapatriement des nutriments à distance vers une zone pauvre n’est jamais
contredit par ces sources.
Une seule grande question
subsiste : quid de la souche. Est-ce qu’une souche monosporale peut fructifier en s’anastomosant
par échange de noyaux, est-ce que l’échange des noyaux formant un mycélium
hétérocaryotique (ou dicaryotique) a lieu dès la germination des spores, est-ce
qu’il a lieu ensuite dans le sol avec des souches sauvages toujours présentes,
est-ce que les conidies sont en fait des spermaties fécondant des sclérotes
femelles, est-ce que l’isolement à partir d’un morceau d’ascocarpe sauvage
redonne systématiquement un mycélium dicaryotique ? Aucun article scientifique
ne se risque en 2019 à clore définitivement le débat. C’est à mon avis le
dernier (et non des moindres) paramètre non maîtrisé.
Je conclurai par une pirouette :
la première méthode crédible référencée sur la culture des morilles est celle du Baron d’Yvoire.
Cette méthode utilise comme inoculum des morilles fraîches jetées au sol au
printemps, fournissant au sol une diversité de spores de génotypes différents
au moment où leur probabilité de germination est maximale, laissant la nature
faire le reste. N’est-ce pas le meilleur moyen pour contourner habilement toute
inconnue autour du cycle sexuel des morilles et de la conservation des souches ? En couplant cette méthode (inoculation polysporale) à la
connaissance des mécanismes de transfert de carbone opérés par le mycélium de
morilles en automne, il doit être possible de s’approcher d’une méthode
optimale de culture. On peut imaginer réaliser une inoculation polysporale à l'automne, sous forme d'une slurry de spores germées en milieu sucré, puis versée à côté de tranchées remplies de cartons ou de granulés de bois. On applique ensuite la meilleure des gestions climatique : buller au coin du feu pendant qu'il flotte dehors. Idéalement la sporée doit être issues d'au moins deux morilles de la même espèce, non clones l'une de l'autre, pour faciliter la création de multiples points de "mating" dans le sol. Une journée de travail en tout, coût proche de zéro. C'est en gros la méthode décrite par Cotter en version "darwinian lateral overgrowth" (ça ferait un super nom de groupe de heavy métal) plutôt que "top down" (les chinois c'est "bottom up" si on file la métaphore microélectronique, enfin j'me comprends). Ah oui au fait : c'est plus brevetable du coup bande de petits lurkers assoiffés d'argent facile.
Revenons à nos expérimentations
2017-2018 : le sol lors de la mise en place des cartons en automne était
très certainement truffé de mycélium de morilles, quel que soit son origine (spores portées par les vents, eaux de lavage de champignons, occurrence naturelle). Des cartons ont été plaqués contre terre (nue) et maintenus humides pour éviter qu’ils ne s’envolent, puis recouverts de feuilles en novembre. Puis
plus rien (je veux dire que je n’ai rien fait à part remplir tout ça de terreau
au printemps, but initial de la manœuvre). Les morilles n’ont poussé que dans
le sol pauvre environnant, hors des bacs, à 20 cm maximum des cartons, pas dans les cartons ni dans le terreau, et majoritairement du
côté faisant face à des massifs forestiers et aux vents thermiques dominants.
Ma théorie est donc que j’ai tout
fait comme il faut par hasard : au printemps des spores ont été portées
par les vents jusque vers les bords des bacs puis ont vécu leur vie de mycélium
de morille dans la pelouse en été (les bacs étant cultivés, fumés et arrosés, le
sol alentour est resté humide). En automne j’ai stérilisé le sol en surface au
désherbeur thermique puis mis en place des cartons humides au bon moment (fin
septembre-début octobre). Le mycélium a gentiment rapatrié le carbone des
cartons vers son point d’inoculation, sur une distance plutôt faible. Ces cartons sont restés plaqués au sol et
humides tout l’hiver grâce à la couverture de feuilles et le sol a subit un gel
profond un mois avant la fructification. Cerise sur le gâteau : j’ai des
photos espacées dans le temps de toute l’entreprise. Donc c’est tout comme la
méthode du Baron d’Yvoire mais avec des cartons à la place des pommes et sans
aucune intention de cultiver des morilles. Ne connaissant pas l'existence d'une forme conidienne de la morille à l'époque, je n'ai aucun souvenir de sa présence ou non sur la place à morilles. Les photos ne révèlent rien en tout cas.
Pour le roman photo et les détails, c’est par là :
Les expérimentations 2017-2018 sur la culture des morilles
Ma compréhension du cycle de fructification des
morilles évoluant dans le temps, des notes ont été rajoutées à plusieurs reprises et le seront peut-être encore.
Morilles de culture obtenues par sérendipité au printemps 2018. Coût total : 0 €/m². Crédit : Raphaël BOICHOT |
Prochain article : les expérimentations 2018-2019 sur la culture des morilles.
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