Cet article résume les essais réalisés pendant la saison 2020-2021 sur la méthode chinoise de culture des morilles.
L'avantage d'écrire un blog est que cela génère des contacts. Depuis l'écriture et la parution des premiers articles, près de 15000 connections ont été reportées sur le blog depuis une vingtaine de pays (francophones mais pas que, merci Google translate) et pas mal de gens m'ont contacté, producteurs, amateurs et associatifs. J'ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec tous ces passionnés malgré le peu de temps libre dont dispose chacun. Ce blog et les contacts qu'il a généré ont accouché d'un réseau "off" de cultivateurs francophones (il y a plusieurs réseaux en fait, pas tous connexes) qui ont tous la même ambition : cultiver la morille à la cool sans rien devoir à personne. Il se trouve que ça tombe bien : la méthode chinoise de culture des morilles est libre de droits (brevet non applicable). Les souches chinoises sont quant à elles activement en circulation sur le territoire français.
Au cours de mes pérégrinations entre trois confinements j'ai pu récupérer quatre souches de culture, en l'occurrence des probables variations de Morchella importuna, toutes d'origine chinoise. La systématique des morilles étant toujours assez délicate en l'absence d'analyses génétiques, nous en resterons là pour l'identification. Il est par contre intéressant de connaître l'origine de ces souches :
- La souche 1 a été isolée par mes soins au cours de l'été 2020 depuis une morille congelée ayant subit une rupture de la chaîne du froid (c’est important), issue d'une culture en pleine terre. Le mycélium a ensuite été conservé au réfrigérateur, en boîte de pétri, jusqu'à l'automne 2020. Des spores ont probablement été à l'origine du mycélium, je ne vois pas comment des cellules somatiques ont pu résister à des cycles de gel-dégel à -20°C. Cette souche donnera un résultat en culture positif chez moi et chez deux autres collègues amateurs et franchement bon chez au moins un cultivateur. J'ai également récupéré une itération de cette souche ayant passé une année complète au réfrigérateur en boite de pétri : la souche était toujours capable de fructifier.
- La souche 2 est issue d’un lot homogène (même souche d’origine) de morilles séchées cultivées en France. J'ai échoué dans l'isolement de mycélium à partir de spores à cause de contaminations bactériennes récurrentes. Un exemplaire a alors été envoyée en plein été par la poste à un autre cultivateur, plus doué que moi, puis un mycélium a été isolé à partir des spores et retourné sous boîte de pétri à l'automne 2020. Cette souche ne donnera aucun résultat chez moi (enfin si, une morille de 1 cm…) mais des résultats positifs chez au moins deux cultivateurs différents.
- Les souches 3 et 4 sont issues de la réserve personnelle de souches d'un autre cultivateur et m’ont été transmises en pétri à l'automne 2020. Leur origine exacte (reproduction végétative ou spores) et mode de conservation est inconnu. La souche 3 ne donnera aucun résultat chez trois cultivateurs (dont moi), mais un bon résultat chez un quatrième cultivateur. Enfin la souche 4 donnera de très bons résultats chez au moins trois cultivateurs dont moi.
Toutes les souches de morilles de culture que j'ai eu entre les mains sont à phénotype "plat à croissance rapide et à formation de sclérotes précoces et encroûtants" (selon la dénomination de Buscot). Les milieux gélosés PDA (Potato Dextrose Agar) et MEA (Malt Extract Agar) donnent des morphologies globalement similaires à cultures réalisées en dessous de 20°C et dans le noir.
Je reviendrai sur les causes probables des variations de résultats en culture avec une même espèce, mais différentes souches, à la fin de l'article. Il est en tout cas évident que la saison de fabrication du mycélium mère importe peu tant que celui-ci est conservé dans de bonnes conditions (au réfrigérateur) jusqu’à l’automne. Une production du mycélium au dernier moment (septembre) avec des morilles séchées ou congelées est tout à fait envisageable. Le brassage génétique de la sporulation rajoute simplement un peu de piment à la culture par rapport à une reproduction végétative en frais. Corollaire : il est donc tout à fait possible de se constituer une bibliothèque de morilles séchées avec des souches bien identifiées pour échange avec des collègues ou redémarrer une production après un échec de culture ou un accident de réfrigérateur. Cultivateurs : gardez de la morille séchée bien étiquetée en backup ! Les souches de culture actuelles ont été sélectionnées par des agriculteurs chinois au cours d'un très long processus et ces souches sont précieuses.
Ces quatre souches ont été ensuite amplifiées sur blé stérile en bocaux à partir de fin septembre. Le top départ pour l'amplification est pour moi le moment où la température tombe sous 20°C dans ma cave (et accessoirement la fin de la saison des ceps et des trompettes de la mort, septembre est un mois chargé en général, et je ne parle même pas de la rentrée universitaire). Cette limite à 20°C est basée sur mes observations : J'ai en effet constaté que les sclérotes ne se formaient jamais au dessus de cette température chez moi. Le milieu d'amplification est toujours le même : blé à poules trempé 24 heures, soigneusement égoutté puis stérilisé en bocaux 2 heures à 120°C dans une cocotte minute. Je n'ai rien ajouté au blé. Pour le format des bocaux, j'ai une préférence pour le modèle "Terrine Familia Wiss Le Parfait 1000 g Ø100" dont trois exemplaires rentrent exactement dans une cocotte minute standard (je n'ai hélas pas d'autoclave et pas l’intention d’en acheter) et dont la forme évasée permet un démoulage facile du gâteau de mycélium. Je n’utilise que le couvercle à vis en métal (sans le disque étanche avec le joint), le jeu entre le bocal et le couvercle étant suffisant pour laisser respirer la culture. Information au passage, le blé trempé 24 heures et égoutté double approximativement de masse et de volume par rapport à une même unité de blé sec.
La colonisation en bocal, dans le noir, prend environ 1 à 2 semaines puis les sclérotes se forment. Les bocaux sont prêts en 2 à 3 semaines. Je ne pense pas que le vieillissement du semis en bocal au delà de 3 semaines ait un quelconque intérêt. J'ai même tendance à penser que le blé tout juste colonisé est optimal (voir Stamets).
Note en passant : je ne cultive pas sous serre parce que ça marche très bien sans, comme nous le verrons. Accessoirement j'ai d'autres centres d'intérêts que le code de l'urbanisme. Par contre tout ce que je décrirai comme étant fait avec une bâche noire peut être avantageusement fait avec un filet d'ombrage dense. La bâche m'a en effet causé beaucoup d'ennuis qu'un simple filet n'aurait pas eu (prise au vent, effet de serre et opacité trop forte "en même temps", paradis pour limaces, poches d'eau à la moindre goutte de pluie, etc). Bon, la bâche étanche était une idée à la con, reprenons.
Le semis est effectué dans de la terre fraîchement retournée, un jour nuageux, lorsque le maximum des températures externes passe largement sous 20°C (la fourchette 15-20°C semble optimale, en particulier dans sa partie basse). Dans le Grésivaudan, cette période optimale de semis va de mi-octobre à début novembre. Tout l'enjeu est de réussir à planter le plus tôt possible après les épisodes de foehn locaux pendant lesquels la température remonte subitement à plus de 25°C, ruinant potentiellement la culture. J’aurais tendance à énoncer une règle simple : jamais avant la Toussaint. C’est valable au moins dans le Grésivaudan où l’arrière saison est généralement longue et tempérée.
J'ai utilisé une motobineuse électrique pour retourner le sol mais je pense que c'était une mauvaise idée : la terre très fine obtenue s'est rapidement compactée, même sans arrosage. Mon sol est de type limoneux, issu de la dégradation de moraines glacières. Un travail de la terre à grosses mottes aurait été préférable. Le mycélium a ensuite été finement émietté puis semé à la volée sur la terre. J'ai semé à raison de 500 g/m², ce qui est un dosage de gros bourrin (200 voire 100 g/m² seraient très largement suffisants d’après les cultivateurs chinois, mais bon, quand le semis ne coûte rien on ne sait plus où le mettre, problème de riche…). Les grains de blé ont été recouverts de 2-3 cm de terre afin qu'ils ne soient plus visibles depuis la surface. J'ai finement arrosé, sans excès, puis couvert la récolte pendant deux semaines à l'aide d'une bâche noire étanche recouverte transitoirement d'une bâche athermique blanche (cette dernière a été virée au bout de deux semaines à peu près, trop lourde). Je pense qu'un simple filet d'ombrage noir aurait suffit comme déjà évoqué mais j'ai pris ce dont je disposais (oui, on est très low-tech dans le Grésivaudan). De fait ça ne respirait pas beaucoup sous la bâche et le blanchiment a été modeste même si la colonisation de la terre par le mycélium était bien visible en surface. Bien sûr, pendant la colonisation, cette saloperie de foehn grenoblois a fait monter la température ambiante à 27°C pendant deux jours, sûrement plus sous la bâche noire en plein soleil...
Vers la Toussaint, au démarrage du deuxième confinement, j'ai alors eu tout loisir de faire cuire des ENB (Exogenous Nutrition Bags) et de les poser progressivement sur la culture. J'ai utilisé des sachets de cuissons (style sachet pour cuire des poulets au four) remplis d'à peu près 1 kg de blé humide, stérilisés 2 heures à 120°C dans une cocotte minute comme les bocaux de semis. Les sacs ont alors été lardés de coups de scalpel stérile sur un côté (ouais, une vraie scène de crime) puis appliqués contre le sol (2 sacs pour 1 m²). Rétrospectivement, l'aspect "plat" des ENB a été contre productif : le mauvais contact contre la terre a beaucoup retardé la colonisation des sacs. Des ENB plus cylindriques auraient été préférables. Bref, après une petite inondation pour la forme, la bâche a été replacée jusque début décembre. J'ai trouvé à titre personnel que la préparation des ENB à la cocotte minute était une étape plutôt répétitive et pénible, et je n'ai traité que 10 m² de sol... Je trouve que le passage à un vrai autoclave n’est pas superflu au delà de 10 m² de surface de culture. On en trouve d’excellents sur Aliexpress par exemple.
Début décembre, j'ai décidé de remonter la bâche de 20-30 cm pour laisser un peu respirer la culture, à l'aide d'une structure légère en traverses de bois. Cet apport d'air a tout de suite augmenté le blanchiment des parcelles et accéléré le blanchiment des ENB. Cette espacement aurait en fait pu et du être mis en place dès le début de la culture. Avais-je bien prévenu que c'était un tutorial pour les nuls ? Ah oui.
Mes observations personnelles concernant le blanchiment du sol convergent vers ces conclusions : la forme Costantinella cristata, ou forme conidienne de la morille, est favorisée par des températures basses mais hors gel (0°C<T<10°C), une luminosité faible, une aération importante couplée à une humidité forte mais sans lessivage (ce qui n'est pas particulièrement courant comme situation), un substrat non saturé et finalement un mycélium en pleine croissance. Tout ceci indépendamment des phénotypes plus ou moins "blanchissants" des différentes souches. Autant dire que cette forme n'apparaît que transitoirement (typiquement entre mi-novembre et fin décembre, uniquement sous abris).
Entre décembre et fin janvier, la culture a gentiment traversé l'hiver sans arrosage. Mi-janvier, j'ai redirigé ma gouttière de toit vers les canaux d'arrosage afin que la culture soit inondée à chaque pluie. J'ai également arrosé par aspersion et débâché les nuits pluvieuses ou neigeuses à partir de début février. La terre est donc restée plus ou moins saturée d'eau tout le mois de février.
Début mars j'ai retiré les ENB (direction compost) qui commençaient à être farcis de thrips et de moisissures. J'ai également traité contre nos amis les limaces avec des trucs pas bios du tout (oui je sais la chimie c'est le mal). Le retrait des ENB semble avoir immédiatement déclenché le démarrage de la fructification. La fructification est un phénomène qui m'a plutôt surpris par sa lenteur : entre les premiers primordia et leur récolte, près d'un mois s'est écoulé. On note simplement une accélération de la croissance des ascocarpes la dernière semaine. Les morilles poussant dans l'herbe autour des planches de culture ont semblé apparaître d'un coup pour cette raisons : les ascocarpes restent longtemps à une taille de 1-2 cm (cachés, mais bien là, pendant probablement 2-3 semaines) puis grandissent assez rapidement ensuite. Lors de la croissance des ascocarpes, j'ai ponctuellement inondé les canaux d'irrigation pour que la terre reste toujours humide en surface (une à deux fois par semaine). Une petite brumisation au jet sous la bâche a également parfois été nécessaire.
Sur les quatre souches, seules les souches 1 et 4 ont donné lieu à des fructifications (une morille ridiculement microscopique a poussé sur la planche de la souche 2, ça compte pas). Les souches 2 et 4 ont bien blanchi la terre, les souches 1 et 3 pas du tout. Je ne constate donc aucune corrélation entre blanchiment de la terre (formation de Costantinella cristata) et capacité des souches à fructifier. Les ENB des souches 2 et 3 n'avaient en revanche que des ponts mycéliens anémiques avec le sol. Je mets donc sur le compte de la mauvaise pose des ENB ces échecs. Enfin si la souche 4 a fructifié principalement sous la bâche, la souche 1 n'a fructifié que dans la pelouse autour des planches, ce que j'attribue à des conditions sous bâche qui n'ont pas convenu du tout à cette souche. Il apparaît donc que quatre souches prétendument de la même espèce ont des comportements en culture finalement assez différents sur une même place, ou en tout cas une réponse différente à des pratiques culturales assez homogènes.
Pourquoi une telle variation de résultat entre souches proches ?
- Je suppose tout d'abord que le besoin en lumière est assez différent entre les différents variants en culture de M. importuna. L'utilisation dans mon cas d'une bâche noire très opaque a par exemple forcé la souche 1 à fructifier hors de la zone de culture, alors que la souche 4, pourtant située dans une zone plus ombragée s'en est parfaitement accommodée. Un effet thermique local est également possible, la bâche sur la souche 1 étant la plus exposée au soleil.
- Je suppose également que la fructification est très sensible aux variations locales des populations bactériennes, y compris à des échelles de l'ordre du mètre. La raison qui m'amène à penser ça est que j'ai réalisé exactement le même protocole dans du compost pur avec la souche 1. Le blanchiment a été exceptionnel (cette souche blanchit peu voire pas en terre) mais aucune fructification, même avortée, n'a été détectée. De plus, j'ai tenté des essais indoor avec de la vraie terre stérilisée et clairement il manquait quelque chose pour obtenir une fructification (toujours avec la souche 1). Le mycélium semble avoir obligatoirement besoin de vraie terre, avec la faune bactérienne associée, pour fructifier, quelle qu'en soit la raison, signal chimique ou "farming" actif des bactéries. Cela n'est à mon avis pas étranger au flou artistique du brevet américain de 1986 concernant ce point, la non-stérilité du substrat de fructification étant à mon avis clef dans la réussite de la méthode. Une publication récente de Mills semble confirmer ce fait, de même que l'excellente thèse de Ge Siyi.
- La pose des ENB est une étape dont la technicité m'a initialement échappé. Il apparaît que si le fond percé des ENB n'est pas en contact très étroit avec la terre, le mycélium n'est pas toujours capable de réaliser un pont mycélien pour rapatrier le carbone des ENB dans le sol. L'utilisation d'ENB cylindriques, très bien enfoncés dans le sol, semble donc préférable. J'associe l'échec avec les souches 2 et 3 entre autres à cet aspect. Les ENB avec ces souches ont été certes colonisés, mais tardivement. Ils étaient également pleins de sclérotes, ce qui n'est pas le résultat attendu : les sclérotes doivent être sous terre. Tout ceci marque une mauvaise communication entre les ENB et le sol. Il est également probable que semer trop de blé inoculé enrichit trop le sol localement pour que le mycélium identifie rapidement des zones optimales de formation des sclérotes.
Un dernier mot sur la production et la conservation de mycélium de morilles. Après la récolte, il est possible de perpétuer ses souches par repiquage végétatif ou par repiquage de spores issues de morilles fraîches ou séchées. Le repiquage végétatif consiste à prendre un fragment de pied (l’interface terre-pieds est pour moi le meilleur morceau), terre comprise, puis de le placer sur une gélose nutritive. Le taux de reprise est faible, de l’ordre de 25 à 50%, mais garanti le pedigree de la souche. La reprise de bouts de chapeaux (secs ou frais) assure un taux de reprise de près de 75% mais le mycélium obtenu n’a plus forcément le même patrimoine génétique que l’ascocarpe « parent ». Le résultat en culture peut être meilleur, identique ou moins bon. Mon impression est cependant qu’avec les morilles de culture domestiquées par les cultivateurs chinois, la méthode de clonage importe peu. Il est probable que la domestication par clonages successifs ait appauvri le patrimoine génétique des souches au point que les spores ne soient génétiquement que des clones des ascocarpes dont elles sont issues. De fait, mes propres observations montrent que le mycélium issu de morceaux de chapeau de morilles de culture est toujours à phénotype "plat" et ne présente pas de sectorisation. Ceci va dans le sens de spores monoclonales. Les morilles de culture pourraient donc être une population particulière apte à fructifier sans étape d'accouplement (mating) proprement dite. A l'inverse, les morilles sauvages présentent un mycélium fortement sectorisé et avec une grande diversité de phénotypes plus ou moins cotonneux à l'issue de la culture de spores.
Concernant les géloses nutritives, j’utilise désormais le simple milieu MEA fabriqué avec 20 g/L d’agar, 20 g/L de sirop d’extrait de malt, 1g/L de CaCO3 et 1000 mL d’eau. Prêt en 10 minutes, je le coule soit en pétris, soit en petits bocaux inclinés (type pots pour bébés ou pots de sauces à fondues bourguignonne), avant stérilisation. Les pétris sont pratiques pour l’isolement et la purification des souches, les pots inclinés sont pratiques pour la conservation long terme au réfrigérateur. Les pétris au réfrigérateur ont en effet la fâcheuse tendance de se couvrir de condensation sous le couvercle, condensation qui coule aléatoirement sur la gélose presque sèche (oui, la flotte vient bien de quelque part), compromettant rapidement la stérilité du milieu. Les pots au contraire restent secs sur les parois et la gélose sèche plus doucement. Sinon, stocker les boîtes de pétri à l'envers permet aussi d'éviter pas mal de ces désagréments.
Pourquoi une réussite cette année et un échec complet l'année dernière (à météo abominable équivalente). Plusieurs raisons d'après moi :
- La morille est un champignon gourmand qui n'utilise la cellulose que pour vivoter. Le blé et autres graines (maïs, seigle, avoine, etc.), et plus généralement l'amidon et les sucres simples sont nécessaires pour fournir l'énergie importante permettant la formation des sclérotes puis la fructification. L'année dernière je n'ai utilisé que de la cellulose comme apport carboné (slurry ou piles de boîtes d’œuf pour rappel), le mycélium est gentiment resté en mode survie. Si certains cartons (ceux contrecollés à l'amidon) et les pommes fonctionnent (voir le roman photo joint), le blé entier reste l’aliment de choix. A masse équivalente, le blé cuit est par exemple trois fois plus nutritif que les pommes (en contenu énergétique). Des ENB enrichis en huile à 5% comme recommandé par Stamets pourraient peut-être même augmenter encore les rendements de fructifications. Mes essais sur ce point ne sont pas concluants (huile répandue directement sur la terre, résultat nul). A ce titre, la méthode de radin qui consisterait à recycler des drêches de brasserie (presque épuisées en amidon et sucres) pour remplir les ENB, serait hélas vouée à entraîner des rendements probablement minables.
- Les primordia d'ascocarpes ne peuvent se former qu'en conditions sombres et humides (dans une pelouse, sous un couvert artificiel dense, un paillage, etc.) et jamais sur une terre nue directement ensoleillée. Une fois bien formés, les ascocarpes ont en revanche une certaine tolérance à la sécheresse et à la lumière, voire une attirance pour les sources lumineuses.
- L'inondation régulière pendant plusieurs semaines en février est primordiale. Il n'y a jamais trop d'eau à cette époque. Dans la nature et en particulier dans le Grésivaudan, février et mars peuvent être des mois partiellement ou totalement secs. Une humidification forcée massive est donc impérative à cette période.
- Les cultivateurs chinois semblent avoir obtenu par essais-erreurs des souches peu sensibles à la sénescence et plutôt tolérantes en termes de conditions de culture et de repiquage. J'ai trouvé le travail avec les souches de culture chinoises beaucoup plus simple et reproductible qu'avec des souches sauvages françaises. Il reste donc un travail passionnant à faire sur la sélection des souches françaises et/ou leur croisement avec des souches chinoises pour améliorer leur productivité ou stabiliser et homogénéiser leur phénotype dans le temps. Un travail où l'INRAE pourrait exceller et devenir fournisseur de souches certifiées, à l'instar de ses travaux sur la truffe. Quoi qu'il en soit, ces souches chinoises sont maintenant largement échangées dans le réseau des cultivateurs français et facilement disponibles : achetez des morilles de culture pour les manger et les cloner, vous ferez des agriculteurs heureux et des expériences passionnantes dans votre jardin !
- Le semis doit être fait ni trop tôt, ni trop tard. Semer tôt permet de laisser au semis le temps de s'installer (et de coloniser efficacement les ENB) mais l'expose à des pics de température et à ses concurrents (Dactylium et autres Rhizopus). Semer tard permet de s'affranchir des contaminants et des excursions en température mais entraîne une croissance plus lente du mycélium. La France étant exposée à une certaine variété de climats et d'altitudes, il n'y a pas de règle absolue énonçable quant à la date de semis. Seule règle stricte : jamais de semis au dessus de 20°C en automne (température maximale de l'air). Garder une marge de sécurité de quelques °C en dessous me paraît utile en cas d'aléas climatiques (foehn en Rhône-Alpes par exemple). On peut avantageusement suivre les températures maximales moyennes locales pour faire des prévisions de dates de semis. Une température maximale moyenne de 15°C pour le semis me paraît être un bon compromis (ceci correspond à fin octobre, début novembre chez moi).
- Dernier point et pas des moindres. L’année dernière j’ai semé très localement le mycélium (en spots ou en tranchées). Cette année j’ai également fait des essais de semis « one shot » où j’ai directement posé des ENB partiellement colonisés contre le sol. In-vitro le mycélium est en effet tout à fait capable de localiser ses sclérotes dans la terre dans ces conditions. Ces essais n’ont mené qu'à un ascocarpe tardif avec la souche 1 qui a plutôt bien fonctionné par ailleurs. Ceci m’amène à penser que la réussite de la fructification est également liée au volume de terre colonisé, renforçant l’idée que l’inoculation du mycélium de morille sur de grandes surfaces (quel que soit le vecteur, solide ou liquide) avant la pose des ENB ou d’un équivalent est un paramètre clef de la culture. Le mycélium doit donc collecter quelque chose (bactéries, nutriments) qui n’est pas naturellement présent en grandes quantités dans le sol et qui ne supporte pas la stérilisation. La découverte de ce "quelque chose" pourrait totalement changer la donne dans la culture de la morille. Deux remarques complémentaires en rapport avec ce paragraphe : j'ai essayé le compost ménager mûr comme support de culture ou comme source de nourriture : ça ne fonctionne pas (échecs plusieurs années de suite). Il n'a plus rien a bouffer dedans et probablement pas le "quelque chose" supportant la fructification. J'ai également essayé le semis de spores en automne plusieurs années de suite : ça ne fonctionne pas non plus. Le volume de terre colonisé est trop faible ou les spores ne germent pas.
Alors, rentable ou non la culture des morilles ?
Du point de vue énergétique, la culture a coûté l'équivalent de 10 minutes de voiture par kg de morille, le CO2 en moins (l'électricité est presque totalement décarbonée en France). Bon point pour l'environnement donc. Du point de vue financier, la culture ne m'a rien coûté d'autre que l'énergie de la stérilisation et du blé (plus quelques consommables mineurs, agar, extrait de malt, etc.), soit à peu près rien. Un calcul rapide montre qu'on peut produire du semis chez soi à moins d'un euro du kg. Les bocaux, seul investissement notable, sont quant à eux réutilisés d'une année sur l'autre. Du point de vue de mon temps, tout dépend de la manière dont je le compte. Une activité tertiaire salariée absorbant la même quantité de temps aurait été beaucoup plus lucrative et moins fatigante (c’est bien tout le malheur d'un monde tertiarisé où l'énergie est surabondante). Mais je ne cultive pas dans un but commercial. C'est donc une activité de loisir qui m'a fait croiser des gens remarquables et qui occupe sainement l'esprit. Donc positif sur le plan humain et environnemental, pas vraiment sur le plan financier (en tout cas me concernant), mais ce n’était pas le but. Disons que c'est un loisir prenant et pas particulièrement dispendieux.
Pour le roman photo c’est par ici : la méthode chinoise de culture des morilles pour les nuls.
Je répondrai volontiers à toute question concernant ce que j’aurais pu omettre, dans les commentaires ou par mail.
![]() |
Une partie de la récolte 2021 (souche 4) : ça commence à devenir sérieux ! Crédit : Raphaël BOICHOT |
Prochain article : soit une étude de brevet, soit la traduction d'un autre livre chinois sur la culture des morilles, ou peut-être du indoor, on verra.
Edit 2024 : en 2022, avec la même méthode et les mêmes souches, j'ai eu une pousse anecdotique (1 morille infestée de moisissures) sur le même emplacement. Depuis 2023 je ne fait plus de tentative de culture avec cette méthode car le résultat est trop aléatoire par rapport au temps investi.
Bonjour Raphaël
RépondreSupprimerJe trouve vos articles formidable et compréhensible pour un débutant que je suis.cela fait 2 ans que je me suis lancé dans la culture des morilles dans une petite serre de 6M2 avec un résultat de 28 morilles de 80g à 50g pour cette année 2021.
Pourriez vous m'éclairer sur un point doit on resemer du mycélium chaque année en l'occurrence sous ma serre qui à été ensemencer l'année d'avant.
Bien cordialement
Bertrand
Bonjour.
SupprimerLa pose simple d'ENB sans réensemencement peut fonctionner si vous observez la reformation de blanc à l'automne (signe que le mycélium a survécu). Je ne sais pas si ça reste valable plusieurs années de suite mais un an au moins, sans problème.
R.B.
Merci pour votre réponse,je vous est envoyé un mail je n'avais pas vu que vous m'aviez répondu (pour info je produis mon blanc moi même donc cela me dérange pas dans semé chaque année)
SupprimerBonne soirée
Bertrand
Je viens de vous répondre par mail. Si vous faites votre semis, autant ressemer vu que le coût de production est négligeable.
SupprimerBonjour, je découvre ce blog plus qu'inspirant! est-il possible de conserver une culture mère de mycelium plusieurs mois voire années en le repiquant dès qu'il a entièrement colonisé le milieu? Le mycelium croît-il au frigo? En deux semaines mes bocaux d'1L de blé commencent a se recouvrir de sclerotes encroûtantes, est-ce trop tard pour le multiplier à nouveau sur du blé? que pensez vous du semis très tardif (janvier, tant que cela ne gèle pas ok? Ou tout début du printemps?). Merci!
RépondreSupprimerBonjour.
SupprimerIl est possible de garder une culture mère au moins un an au frigo (donc faire deux saisons avec). Pas obligé de repiquer à part pour s'assurer de la pureté quelques semaines avant amplification. Le mycélium croit et peut faire des sclérotes au frigo, même si ce n'est pas systématique avec une souche fructifiante. Il n'est jamais trop tard pour amplifier une culture sur blé ayant déjà fait des sclérotes. Je n'ai pas d'avis sur le semis tardif, mais le fait est que je l'ai vu fonctionner chez un agriculteur. Je doute seulement du rendement vu la temps très court laissé au mycélium. Et désolé pour la réponse tardive, j'ai raté l'alerte Gmail sur votre message
Bonjour ! bravo pour votre travail et chapeau pour le fait de le partager gracieusement !
RépondreSupprimerJe vous cite ".... renforçant l’idée que l’inoculation du mycélium de morille sur de grandes surfaces avant la pose des ENB ou d’un équivalent est un paramètre clef de la culture. "
Son premier réflexe est peut etre d'abord de s'implanter, en se fixant aux minéraux avant de s'intéresser au "garde-manger",
un milieu trop humifére ne lui étant à priori pas adapté.
Le mycélium ne mange pas d'humus et probablement pas la cellulose (ou pas efficacement au point de fructifier). Amidons et dérivés sucrés uniquement. Donc les terrains riches en humus ne posent aucun problème, au contraire.
SupprimerCher Raphael, merci pour votre blog et votre énorme travail qui est utile, j'en suis sûr, à beaucoup de monde. Je me permet un petit commentaire / une petite astuce au cas où vous l'ignoreriez. Je suis un ancien microbiologiste ( à Grenoble) aussi ! mais je travaillais sur des bactéries (je n'ai jamais bossé avec des champignons) et je ne suis donc pas sûr que mon astuce soit compatible. Vous mentionnez dans cet article la condensation sur les boites de pétri qui finit par tomber sur la gélose (compromettant la stérilité) ainsi que le fait problématique que cette dernière s'assèche à la longue. Dans mon ancien laboratoire (LAPM), nous placions les boites de pétri à l'envers au frigo (soit la gélose en haut et donc tête en bas) de manière à éviter que la condensation ne tombe sur la gélose. De plus nous scellions les boites de pétri avec du parafilm de scellement ce qui évite l'assèchement. En espérant que ces petites astuces vous rendent services dans l'hypothèse où vous ne les connaitriez pas déjà. Bien à vous et merci encore pour votre admirable travail.
RépondreSupprimerGuillaume
Un commentaire envoyé un peu trop rapidement, je n'avais pas vu la dernière phrase mentionnant les boites de pétri à l'envers. Ne tenez compte que de l'astuce du parafilm de scellement! Bien à vous, Guillaume.
RépondreSupprimerJe retiens pour le parafilm, merci !
Supprimer