dimanche 10 novembre 2019

V. Les méthodes de culture des morilles tirées d'internet

Cet article résume l'ensemble des méthodes de culture des morilles collectées sur internet.

Les méthodes référencées sur internet pour cultiver des morilles sont une source abondante de conditions expérimentales et de recettes. On rencontre essentiellement deux types de sources : les recettes de vendeurs de souches/licences et les réussites fortuites que les auteurs tentent tant bien que mal d'expliquer rétrospectivement. Globalement, parmi les vendeurs de souches et/ou de licences, aucun ne montre de photos de la mise en place et du résultat au même endroit. On ne voit soit que des photos (ou schémas) de la mise en place (vendeurs de souches), soit que des photos du résultat (vendeurs de licences), hors contexte. On peut même extrapoler que les informations pertinentes sur la culture des morilles ne seront surtout pas données par les vendeurs de licence qui se contenteront au mieux de diffuser un peu d'intox et quelques photos floutées pour amuser les journalistes locaux et les bloggers (moi exclu, seule la littérature scientifique et les bases de données brevet m'excitent, chacun ses vices). Le blanc de morille étant quant à lui vendu en France et aux US plus cher que des morilles fraîches au kg (alors que le coût de production est totalement dérisoire, de l'ordre d'un euro par kg, grand maximum)la moindre des choses est d'attendre du vendeur de souche une obligation de résultat (comme toute semence certifiée), ce qu'aucun ne propose, évidemment. La vente de blanc de morille, de par son prix au kilo totalement délirant, relève donc plus ou moins de l'arnaque (à laquelle j'inclue les seringues de spores, boites de pétri de mycélium en phase finale de sénescence, "graines" de morilles et autres sachets de poudre de perlimpinpin). Pour trouver des souches de morilles c'est très simple : champignons séchés en supermarché ou cueillette dans la nature, pas besoin de payer des fortunes. Avec un peu de chance on peut même tomber sur de la morille de culture chinoise (et donc des bonnes souches). Je ne parle même pas des recettes miracles vendues plusieurs centaines de milliers d'euros par des amateurs danois (bah oui, on ne se mouche pas du coude dans la culture des morilles) dont le site de vente est la google traduction d'un trop célèbre vendeur de souches et de licences français, agrémenté de beaux pavés de texte bien dégueulasses google traduits de vendeurs chinois. Business is business, chacun doit nourrir sa famille et rembourser ses emprunts, pas la peine de perdre son temps avec les marchands de soupe. Il suffit de voir ces commerçants se faire littéralement dézinguer dans les forums spécialisés pour comprendre le problème. Vous avais-je déjà dit que chaque matin un pigeon se lève ?

La source d’information la plus intéressante reste donc de loin la réussite fortuite. Le problème principal est que le manque de connaissance sur le cycle de vie de la morille entraîne une mauvaise interprétation des paramètres pertinents pour sa culture. Le fait que la fructification ait lieu en moyenne six mois après l’action décisive met la mémoire à rude épreuve. Il va donc falloir souvent travailler avec des informations partielles en essayant de retrouver les paramètres manquants. On remarquera simplement que dans les poussées fortuites, les morilles poussent contre ou à côté des sources de carbone (dans un substrat pauvre très lessivé voire exclusivement minéral) et pas dedans, confirmant nos hypothèses sur le transfert de carbone opéré par le mycélium de morille.

S’il fallait donner une méthode pour rétrospectivement tirer de l’information d’une réussite fortuite : prendre des photos immédiatement et noter tout de suite l’ensemble des événements dont on se souvient sur 6-9 mois avec des dates précises. Les fructifications opportunistes se faisant dans un écosystème fraîchement bouleversé (chantier, décharge, dépôt de déchets), il existe peut-être encore des photos de la mise en place de cet écosystème éphémère. Il faudra rechercher l’origine d'une source de carbone mise en place par accident sur un sol pauvre (par exemple cartons, restes de sacs de ciment, BRF, paillage d'écorces, fruits pourris, tas de bois lessivé, compostage en surface, poubelles, désherbage chimique, etc.) ainsi que la date.

Les réussites fortuites sont dues à un facteur très simple : le diamètre des spores de morille étant en moyenne de 15 µm (densité proche de celle de l’eau, forme quasi-sphérique), leur vitesse terminale de chute dans l’air à 20°C est approximativement de 7 mm/s (attention, ça tombera à l’examen). Comme l’éjection des spores est un phénomène thermiquement actif qui les projette à approximativement 30 cm du sol, elles restent potentiellement 42 secondes en suspension dans l’air. Les vents thermiques créés par l’alternance jour/nuit étant en moyenne de 9 km/h, une spore peut parcourir au minimum une centaine de mètre (si temps calme, beaucoup plus si vent). Dis autrement, une morille unique couvre au moins 3 hectares avec ses spores (à raison d'une spore par centimètre carré en moyenne, soit 300 millions de spores par morille, après un rapide calcul d'ordre de grandeur). Le même calcul avec des conidies donne une distance moyenne de dispersion de près de 1 km, dommage qu'elles ne germent pas... Un terrain ayant vu une fructification opportuniste de morille au printemps doit donc être littéralement truffé de mycélium l'automne suivant.

On rappelle que les spores de morilles germent immédiatement à la première pluie, ce n’est donc pas une forme de résistance (du moins pas dans la nature). Comme le mycélium est lui-même probablement détruit par le gel d'après Buscot (les sclérotes seraient la seule forme de résistance au gel), on peut conjecturer que le stock de mycélium est reconstitué tous les ans par l’apport de spores fraîches portées par les vents. On rappelle que les conidies sont elles stériles et que leur rôle écologique est inconnu. Corollaire : comme les spores de morilles tombent tout de même assez vite, leur probabilité de présence doit augmenter contre les obstacles faisant face aux vents dominants de printemps (bordures de jardin, murets, etc.).

Il s’agit donc de donner à bouffer à ces mycéliums spontanés issus de spores de printemps au bon moment. On pourrait penser que le printemps est la meilleure période puisque la formation des sclérotes et la probabilité de germination sont au top. C’est là que la morille est chafouine : le dépôt de matières carbonées fonctionnerait en fait du printemps à l’automne, mais quand même mieux à la transition été-automne (pour faire simple, la saison des champignons), ce qui correspond grosso modo au deuxième pic annuel de formation des sclérotes. On pourra en déduire que le mycélium possède au moins une certaine résistance à la sécheresse, peut-être en association avec des racines.

Ces réflexions ne changent pas le problème : d’après internet, enterrer à faible profondeur de grandes quantités de cartons, sciure, déchets carbonés divers, ou simplement les déposer au sol, en début d'automne, permet éventuellement d’obtenir des morilles au printemps suivant, avec ou sans inoculation volontaire. Le secret semble être simplement que le tout soit bien lessivé par les pluies et reste humide en hiver. Au pire si pas de morilles, on obtient des pézizes, ce qui indique qu'on n'est pas loin des bonnes conditions. Problème de timing probablement.

Faits marquants :


- Déposer ou enterrer sommairement des cartons/papiers à la fin de l’été, début de l’automne, sans inoculation autre que les spores portées par les vents ayant germé au printemps, donne des résultats honorables en regard du coût nul de la méthode. Inoculer à l’automne avec des morilles séchées devrait fonctionner aussi (avec un bémol : certains auteurs considèrent la germination automnale des spores impossible en milieu naturel), mais le top serait quand même de refaire germer les spores dans un milieu nutritif sucré avant épandage, ce qui fonctionne très bien quelle que soit la saison. La méthode des cartons déposés marche mieux si ceux-ci sont bien plaqués au sol (à l’aide de gros cailloux ou d’une couche de type BRF) sur une terre nue et proches d'un obstacle naturel. Cette méthode permet de bénéficier de l’apport régulier des pluies : on dépose et on oublie ;

- Inversement, déposer ou enterrer des cartons en hiver avec des morilles séchées peut fonctionner… un an plus tard (vernalisation obligatoire des sclérotes qui doivent avoir le temps de se former en sol tiède d'abord !), si le tas de matière organique n’a pas été dégradé préalablement par une espèce plus adaptée que la morille à croître en saison froide. On rappelle une règle simple (Buscot) : entre une spore et une morille, en conditions naturelles, une saison complète de végétation suivie d'un hiver, au moins, doit passer (un an de printemps à printemps pour résumer), indépendamment de la date de mise en place de la source de carbone. La saison de végétation peut être bypassée avec un inoculum artificiel installé en automne, mais la vernalisation reste tout de même obligatoire.

- Le carton est un bon substrat en milieu naturel (traduction : non stérile) car il ne génère que peu de compétition : le mélange cellulose/amidon cuit (composition approximative du carton) est très adapté pour le mycélium de morilles et peu attirant pour les organismes lignivores ou les fouisseurs et autres limaces. Les substrats plus riches (pommes et céréales cuites par exemple) attirent toute la vermine du sol, puis les merles, quand ce n'est pas les chats qui viennent déféquer par dessus en prime (expérience personnelle). On notera que certains cartons techniques (emballages et calages de produits informatiques) comportent en outre des polymères pour améliorer leur tenue à l'humidité et des encres non dégradables (bon appétit donc).

- On rappelle que le concept est toujours le même que la méthode Ower/chinoise : un mycélium de morille préexistant dans un sol pauvre va coloniser une nouvelle source massive de carbone à l'automne puis rapatrier les sucres vers son point d’inoculation, ou en tout cas dans les parties les plus anciennes du mycélium (priorité 2) qui ne soient pas au contact de la source de carbone (priorité 1). Les sclérotes ainsi formés en sol pauvre hivernent et donnent naissance à des ascocarpes au printemps. C’est pourquoi les morilles poussent toujours à côté de la source de carbone ou au pire à son contact, côté sol lessivé. Donc si on inocule volontairement, c'est autour de la (future) source de carbone et pas au milieu, si possible (bien) avant la mise en place de celle-ci.

- Enfin on se souviendra que si les spores de morilles ne germent bien qu'au printemps dans la nature, il en est tout autrement in vitro... ce qui permet d'inoculer massivement en automne avant la mise en place de cartons. Donc on inocule au printemps avec des morilles fraîches ou séchées (en slurry si on veut), ou en automne, soit avec une slurry de spores germées (morilles trempées 24-48 heures dans jus de pomme dilué à 50% puis broyage et épandage), soit un inoculum amplifié par méthodes stériles (mais c'est contraignant et risqué si la souche est médiocre).

Pour approfondir c’est par ici : Les méthodes internet de culture des morilles

Un fil de discussion pas inintéressant sur la culture des morilles : forum shroomery. Ici c'est Ower ou rien et le procédé chinois se fait bien dézinguer.

Un forum où ça discute de truffes, mais aussi de culture des morilles et du procédé chinois qui se fait tailler en pièces : forum Grosses Truffes

Un bon blog honnête (enfin !) sur la culture expérimentale des morilles en France : Blog de Bernard Peltier. La méthode utilisée ouvre d'intéressantes pistes de réflexion sur le cycle de vie de la morille blonde, réputée incultivable. Ce blog est à l'origine de mon envie de creuser la question de la culture des morilles. L'auteur ne donne hélas plus signe de vie depuis la première vague de COVID et son site a disparu début 2021... J'ai donc mis un backup de son site en lien.

Une vidéo de Paul Stamets où l'on voit des beaux tas de cartons entourés de morilles : Lien Youtube. Ne regardez pas Stamets ni ses mains mais regardez attentivement le sol.

Enfin la page web de Volk qui résume très bien tout ce qui a été exposé sur les morilles et leur culture jusqu'à maintenant.


Voilà un printemps 2018 qui commence bien avec des morilles spontanées sur cartons. Le couteau à saucisson donne l'échelle. Crédit : Raphaël BOICHOT

Maintenant, trêve de bavardages et de théories, l'abcès chinois est crevé et on ne reviendra pas dessus (enfin si, un peu), place aux essais expérimentaux ! Prochain article : Les expérimentations 2017-2018 sur la culture des morilles


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