J'ai passé cinq années à éplucher la bibliographie et faire divers essais de culture en jardin avec plus ou moins de succès. J'ai été contacté et ai échangé avec un certain nombre de cultivateurs. J'ai parfois eu la chance d'observer leur mode de culture sur site. J'ai vu les recettes les mieux gardées. Nous avons échangé des souches, des pratiques culturales et des canons de rouge, certains cultivateurs ont même testé avec plus ou moins de succès des souches isolées par mes soins. Voici mes conclusions :
- La culture des morilles demande un alignement des planètes assez précis (plus ou moins contrôlable mais plutôt moins que plus) concernant la souche, la terre, la date de semis, le climat hivernal, les pluies printanières et les contaminants. Ces points ont été abordés en longueur sur ce blog et je ne reviendrai pas dessus. La moindre erreur de culture ou le moindre aléa climatique (paramètre totalement incontrôlable) sont sanctionnés par une absence de récolte. Même une colonisation parfaite du sol et des ENB (ou d'un de leurs substituts), un blanchiment massif et une bonne humidification au printemps peuvent donner un flop total, pour la raison qui suit (et probablement d'autres).
- La culture n'est possible que 2-3 ans consécutifs sur le même emplacement, y compris en comptant les années de culture qui ont échoué. Je pensais initialement à un épuisement du sol en une ressource quelconque, je pense maintenant plus à un métabolite assez stable chimiquement qui s'accumule, ou tout simplement des contaminants devenant rapidement incontrôlables (par exemple à cause d'une modification irréversible de la flore bactérienne du sol dont le mycélium se nourrit activement). Quelles que soient les raisons, la fructification à un même emplacement est inhibée au bout de quelques années. Le renouvellement partiel du sol et les amendements divers et variés ne changent pas la donne. La morille du clade elata n'est pas une espèce pionnière pour rien ! Le scénario type chez les cultivateurs en serre est celui-ci: première année culture avec faible maîtrise du procédé et récolte notable car le sol est "propre". Deuxième année sol encore acceptable et bonne maîtrise du procédé, bonne récolte. Troisième année et suivantes: plus rien ou quelques rares morilles isolées et infestées de moisissures quels que soient les efforts fournis et la qualité du semis. La culture des morilles est donc une culture nomade. Sa réussite ponctuelle en serre (possible et avérée) ne rendra les échecs inévitables des années suivantes que plus frustrants. Ceci n'est pas contradictoire avec la présence naturelle de places à morilles de clade elata "rémanentes". En mettant de côté le fait que je n'ai jamais observé de pousses dans la nature exactement deux fois au même endroit en 20 ans (mais oublions ce léger détail), on ne parle tout simplement pas ici de la même quantité de mycélium dans le sol, ni de la même dégradation de l'équilibre bactérien en présence.
- La culture des morilles n'est pas une activité économiquement viable. J'entends par viable le fait de rembourser son investissement, l'achat de mycélium et des entrants, le temps passé sur la culture, la mobilisation du terrain, la mise en conformité des espaces agricoles, etc. La culture à fin de loisir est effectivement possible et plutôt amusante, les récoltes peuvent même être ponctuellement impressionnantes, mais il est impossible de faire le moindre bénéfice net. Au mieux en produisant son mycélium avec du matériel existant, en disposant gratuitement d'une surface de culture différente chaque année et en étant assez tolérant avec le concept de temps libre, la culture peut tout juste ne pas être faite à pertes. Si vous voulez vraiment faire des bénéfices avec la culture des morilles, faites comme pendant la ruée vers l'or, vendez des pelles ! (enfin du mycélium quoi).
- La souche est primordiale: elle doit être fructifère et conservée dans de bonnes conditions de froid et de stérilité après isolement. L'aspect de la souche en boite de pétri ne conditionne pas son caractère fructifère (une souche très vigoureuse et formant des sclérotes en pétri peut être "stérile" in fine en culture). Je n'ai toujours pas compris si les souches pouvaient être conservées d'une année sur l'autre réfrigérées (et repiquées de temps en temps sur une gélose neuve) ou s'il fallait refaire un passage en terre obligatoire, tant les résultats que j'ai eu ont été non reproductibles, que ce soit avec des souches de culture "certifiées" ou des souches sauvages. Attention, une souche fructifère peut également être culinairement décevante, pour rajouter au "fun" de cette culture.
- La culture indoor est encore en cran au dessus niveau aléatoire. Dans tous les cas, elle ne consiste qu'en une reproduction de la culture outdoor dans des contenants et se mène en milieu non stérile, c'est même le secret du procédé Ower. Il n'empêche que ce procédé est encore moins tolérant aux contaminants (milieu confiné) et demande une gestion climatique active qui n'a strictement aucun sens énergétiquement.
Voilà mes principales conclusions. Après relecture à froid de l'ensemble du blog, tout ce dont je parle ici est dejà écrit dans les différents articles. Je souhaite sincèrement les pertes financières les plus modérées possibles à tout ceux qui ne me croient pas et pensent faire des bénéfices. Pour les autres, amusez-vous bien sans espérer autre chose que des récoltes aléatoires...
Vous pourrez trouver ici l'ensemble des documents à télécharger sous les différents articles de ce blog. Cela représente des centaines de pages de lecture et des centaines d'heures de travail, bonne lecture au coin du feu avec un bon verre de Vouvray à la main !
Je continue à faire des essais avec la méthode Molliard (tas de matière organique oubliés aux éléments) car aléatoire pour aléatoire, cette méthode est facile et pas pire qu'une autre finalement.
Ce blog méconnu est une encyclopédie et une de mes références personnelles, en fait je pensais que tu étais mort.
RépondreSupprimerPar rapport à ce que tu dis sur l'alignement des planètes, cela me donne une approche que je n'avais même pas envisagé, pourquoi certaines espèces/souches arrivent à se cultiver de manière périodique et pas d'autres, les champignons ont encore beaucoup à nous révéler, en tout cas je pense que tu peux être fier de ton travail
Mort pas encore, disons que j'ai fait le tour de la question sur sur la culture des morilles et que j'ai d'autres chats à fouetter maintenant. J'estime le sujet clos même si je continue à répondre aux questions avec plaisir. J'espère surtout que ce blog évitera des pertes financières colossales aux agriculteurs.
SupprimerBonjour, ce blog est-il encore actif ?
RépondreSupprimerSi oui j'aurais bien 2 ou 3 questions 🙂
RépondreSupprimerBonjour. Je réponds toujours volontiers aux questions.
SupprimerBonjour !
RépondreSupprimerJe tiens tout d'abord à vous dire que je suis admiratif devant votre travail.
Ma première question :
Je suis novice et j'ai isolé un mycélium sur gélose au mois d'avril, Avez vous pu réussir à conserver le mycélium jusqu'à l'incubation en terre et obtenir un résultat positif l'année d'après ?
Et deuxième question :
Avez-vous essayé la culture de verpa bohemica ?
Bonjour.
SupprimerOui à la première question si la gélose est conservée au frigo avec la boite de Petri à l'envers pour éviter que tout ne soit rapidement noyé dans l'eau de condensation (et les bactéries résultantes). Contrôler de temps en temps pour repiquer en urgence si contamination.
Non à la deuxième question, jamais testé (ni cultivé, ni mangé).
Merci !
RépondreSupprimerEst ce que vous continuez la culture des morilles ?
Bonjour. Je fais toujours de la culture "passive" en disposant des tas de matière organique (genre cartons et pommes) à l'automne dans le jardin, avec des résultats aléatoires, mais plus de culture avec ensemencement et ENB qui demande trop de travail pour peu de résultats en moyenne. Mon terrain ayant été ensemencé à peu près partout ces dernières années, je n'ai plus trop de coins non contaminés à tester pour l'instant. Je suis toujours en contact avec certains cultivateurs, mais plus pour l'apéro et les anecdotes de culture que pour la culture proprement dite.
SupprimerLe manque de temps libre pour diverses raisons n'aide pas non plus.
J'ai gardé un backup en séché de toutes les espèces fructifères que j'ai croisé, si un jour ça me reprend, je saurai comment repartir des spores.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe ne comprends pas bien "espèce fructifère".
Personnellement j'ai récupéré des spores d'une morille que j'ai fait germé sur une gélose, est ce qu'il se peut que le mycélium issue de ces spores ne puisse pas fructifier ?
Et deuxième question avez vous testé le procédé d'incubation dans un pot de terre cuite qui soit disant orienterait le mycélium vers la surface et limiterait ainsi l'épuisement du sol ?
J'ai omis d'être plus précis : il existe des lignées fructifères en culture et d'autre pas, au sein même du clade elata. Le phénotype en Petri (= faire des sclérotes) ne semble pas être un indicateur absolu. Le plus "safe" est de repartir de morilles chinoises cultivées du type de celles qu'on trouve séchées en grande surface (probablement cultivables mais pas forcément adaptées au climat local, en espérant avoir des spores) ou de morille localo-locales adaptées au terroir (mais pas forcément cultivables). Il faut faire des tests et admettre qu'en plus, les résultats avec de bonnes lignées (= réputées fructifères) peuvent être aléatoires.
SupprimerJ'ai testé les "pods" dans leur première version la première année de mise en vente. Pas plus convaincu que ça mais j'avais pris des libertés par rapport à la procédure fournie avec. Par contre Morilles du Lac, indépendamment du marketing auquel on souscrit ou pas, touche clairement sa bille sur la sélection des souches.
J'ai utilisé une morille sauvage locale qui je l'espère est de type saprophyte (trouvé dans une forêt de conifères) et des spores de verpa bohemica sauvages qui sont très faciles à isoler sur gélose.
RépondreSupprimerPar contre je ne sais pas si quelqu'un a déjà essayé de les cultiver.
Leur goût, pour ma part, est aussi bon qu'une morille symbiotique que je ramasse sur les racines de charmes.
J'habite dans les Alpes de haute Provence à 500 m d'altitude et j'aimerais vraiment réussir à cultiver des morilles locales.
Sinon j'ai commandé 3 pods à morille du lac dans le but d'obtenir quelques morilles et d'en récupérer leur spores.
Je me demandais si une Petite
serre premier prix ne serait pas utile pour améliorer les conditions de culture ?
Un voile d'ombrage assez opaque est très utile voire obligatoire en l'absence de couverture naturelle du sol, plus qu'une serre. Les verpes, à ma connaissance personne n'a essayé mais je peux me tromper.
Supprimer