Préambule important pour la lecture de cet article : personne au monde jusqu'à maintenant, hormis les auteurs initiaux des brevets américains (Ower, Mills et Malachowski) et deux auteurs (Masaphy en 2010 et Ge en 2019) n'est parvenu à reproduire cette méthode de culture avec succès. Quelques recherches sur l'internet local chinois montrent également des photos de culture hors sol ainsi que la publication d'insignifiants pastiches des brevets américains, mais rien de probant dans la littérature scientifique pour le moment. Seule l'espèce Morchella rufobrunnea (répartition : Mexique, Californie) a donné lieu à des réussites en culture hors sol, ce qui laisse penser que le procédé est très souche-dépendant.
Revenons un peu sur le procédé de culture des morilles développé par Ronald Ower (1982) puis breveté (1986). Le brevet est tombé dans le domaine public depuis 2006 sans avoir fait la fortune de quiconque, nous pouvons donc le décortiquer sans arrières pensées mercantiles. La méthode est la suivante : un mycélium est isolé à partir de spores de morilles fraîches puis amplifié dans un mélange riche en blé (ou seigle) jusqu’à formation de sclérotes. Ces sclérotes sont prélevés puis replantés aseptiquement dans un substrat pauvre, lui-même placé au dessus d’un nouveau substrat d’amplification. Les sclérotes sont forcés à refaire du mycélium, à traverser le substrat pauvre puis à rapatrier le carbone vers leur point de plantation. Une fois le transfert terminé, le substrat pauvre rempli de sclérotes est séparé physiquement de la source de carbone, vernalisé, détrempé, puis mis en conditions plus chaudes et plus sèches, sous cycle lumineux, jusqu’à la fructification. Une couche de gobetage additionnelle, riche en calcium, peut éventuellement être mise en place. Le procédé peut être simplifié en mélangeant simplement des sclérotes, obtenu à partir d'une première culture sur blé, dans de la terre, puis en faisant l'étape de vernalisation, noyage et ainsi de suite.
La méthode telle que décrite est extrêmement précise et reprend l’ensemble des connaissances acquises à l’époque. Le brevet mêle idées à protéger et étapes critiques avérées du procédé dans ses revendications, ce qui rend sa lecture plutôt ardue. Chose originale, les études scientifiques suivantes sur la culture de la morille, son mycélium où la manière d’obtenir des sclérotes, ont toujours conforté le procédé Ower. Le point dur semble donc l’étape de fructification. Ower aurait cependant obtenu son premier ascocarpe dans son appartement d'étudiant, ce qui laisse imaginer qu'il avait accès à relativement peu de matériel (de quoi faire de la microbiologie de base, emprunté à son laboratoire), et que le procédé devait être plutôt basique. Il avait alors une vingtaine d'années. J'apprends au passage ne pas avoir été la seule personne au monde à avoir fait des cultures de micro-organismes en boite de pétri dans ma chambre d'étudiant. C'est presque rassurant... euh en fait non.
D’un point de vue plus général, le brevet contient de manière très explicite la description exacte du procédé de culture chinois (avec toutefois des ENB remplis de cellulose et une supplémentation en urée), on peut donc penser deux choses : soit les cultivateurs chinois ont indépendamment découvert une seconde fois cette méthode, soit ils savent lire des brevets. Du point de vue du légiste, cela entraîne la nullité pure et simple des brevets pouvant revendiquer l'utilisation d'ENB, ce que se gardent bien de faire les auteurs chinois, l'office des brevets faisant localement bien son travail apparemment.
Faits marquants :
- Il semble que la fruitaison des morilles ne
puisse pas se faire en milieu stérile pour des raisons mal comprises, mais une d’entre
elles serait que le mycélium doit vivre en symbiose avec des bactéries du sol (type
pseudomonas et autres commensaux) pour devenir apte à fructifier. C'est en tout cas le point de vue de l'ensemble de la bibliographie scientifique. Dans le
procédé Ower en particulier, il serait possible que la dernière étape (noyage des
sclérotes), ne se fasse plus de manière stérile, contrairement à ce qui peut être écrit par ailleurs sur internet par Mills en personne. A aucun moment le brevet n'explique clairement quand ni comment la stérilité du procédé est rompue. Le premier papier de Ower publié en 1982 précise bien que la stérilité n'est rapidement plus maintenue et qu'aucun cyclage lumineux ni climatique n'est utilisé. Dans le procédé industriel, on peut imaginer qu’une
décoction de sol soit ajoutée à un moment clef de la culture, ou que la couche
finale de gobetage soit constituée entre autres de terre naturelle non stérilisée, ce qui en soit constituerait un savoir-faire bloquant pour la reproduction du brevet (c'est donc un brevet très bien rédigé). Le consensus général est donc que le brevet ne contiendrait pas un ou plusieurs points bloquants de savoir-faire et que ces points n'ont jamais été révélés publiquement, qu'ils aient été perdus à cause de la mort de R. Ower (peu probable, il ne travaillait pas seul), ou soigneusement cachés par les auteurs jusqu'à maintenant (très probable, Mills est encore actif dans la culture des morilles en 2020). Un article récent co-signé par Mills indique d'ailleurs que le substrat de fruitaison (le substrat pauvre) serait en fait simplement pasteurisé et encore riche en Bacillus spp. et Pseudomonas spp. Ceci semble cohérent avec une indication donnée par Stamets : un des secrets de la méthode aurait été découvert par erreur... Après tout, il n'y a peut-être même tout simplement pas de secret mais juste un savoir-faire difficilement reproductible, un classique des projets de valorisation qui foirent...
- Le brevet Ower est tellement en rupture avec les autres méthodes de culture des morilles de son époque qu'on peut se demander comment Ower a pu en arriver là. Repartons du papier original de 1982, le plus proche du concept de base. En partant du principe que ce qui est écrit est exact (Ower était un scientifique, il n'avait aucun intérêt à mentir), mais parfois flou (volontairement), et que le procédé initial doit nécessairement être simple, on peut s'essayer à un peu de science fiction. Ower est dans son appartement avec ses boîtes de pétri, sa cocotte minute et son réfrigérateur. À cette époque, on ne sait pas grand chose dans la littérature du cycle de fructification de la morille à part qu'il faut passer par des sclérotes et probablement les vernaliser. On soupçonne aussi que le cycle complet ne se fait pas en milieu stérile (Molliard). Ower ne sait donc pas avant 1982 que la morille rapatrie son carbone en milieu pauvre, ce concept ne sera publié qu'après sa mort. Il connaît en revanche le mode de culture des autres champignons saprophytes (colonisation de blé - vernalisation - choc thermique et noyage, voir Stamets). Il isole donc son mycélium à partir de spores ou par clonage d'ascocarpes trouvés sur son campus. Il amplifie son mycélium jusqu'à formation de sclérotes massifs sur blé stérilisé en bocaux (faisable en appartement dans le noir). Il récolte ses sclérotes en les séparant du milieu de culture et les enfouit juste dans de la terre crue. C'est peut-être dérivé de la culture de champignons hallucinogènes comme le suggère Stamets qui connaissait Ower. C'est peut-être né de la volonté de créer un triple choc chimique, thermique et osmotique. Il place tout ça au réfrigérateur quelques semaines (vernalisation comme pour les autres champignons saprophytes), ou sur un rebord de fenêtre en hiver (s'il souhaite garder ses amis). Il ressort ensuite sa barquette (ou la rentre, au choix), la noie 24 heures, l'égoutte puis laisse le tout dans le noir à température ambiante (placard) en observant de temps en temps l'évolution de la situation. Ça fonctionne, il passe à l'échelle labo sur son campus, publie pour la gloire en omettant volontairement de décrire ce qui est brevetable (le transfert manuel des sclérotes dans de la terre crue), puis développe l'upscaling rationnel du procédé avec des investisseurs, rédige son brevet fleuve (et assez compliqué) qui ne contient pas le secret de la méthode mais qui est suffisamment précis pour attaquer les contrefacteurs et fin de l'histoire pour ce malheureux Ower. Fin de la science fiction. Le brevet vivotera ensuite, passera de mains en mains (Neogen Corporation + Domino's Pizza puis Terry Farms et enfin Gourmet Mushrooms Inc.), sans que l'on sache si réellement le procédé a généré des bénéfices. La productivité de la méthode est montée jusqu'à 2.4 kg/m² et par récolte d'après des sources chinoises (en l'occurence Zhu Douxi himself qui se souvient subitement de Ower sous la pression de l'office chinois des brevets).
- L’aspect saisonnier de la
croissance des sclérotes de morilles n’est jamais abordé, donc soit Ower et Mills ont
trouvé une souche miraculeuse dont l’horloge biologique défaille, soit les
auteurs connaissaient cet aspect et n'en faisaient pas état aux futurs investisseurs (money money !). La production des sclérotes étant reportée dans la littérature scientifique comme maximale au printemps et à l'automne, on peut imaginer que le procédé permettait de faire au moins deux campagnes de récolte par an, ce qui devait être suffisant pour donner l'illusion d'un procédé continu. La souche utilisée
n’est jamais clairement identifiée mais serait une Morchella rufobrunnea, morille californienne et non une Morchella esculenta comme déclaré par Ower à plusieurs reprises. Dans
l’hypothèse de la découverte d’une souche miracle, sa sénescence progressive a peut-être scellé le
sort du procédé. Une dernière possibilité serait que les auteurs aient découvert que la congélation peu après après germination (genre azote liquide), puis décongélation juste avant amplification d'une souche peut leurrer son horloge biologique. Et le secret serait bien gardé car je n'ai jamais lu quelque chose de semblable dans la littérature ni même l'évocation de cette possibilité.
- Les nombreuses discussions autour de ce procédé de culture convergent sur un point : le goût et l'aspect (couleur) des morilles de culture hors-sol ne valaient pas ceux des morilles de cueillette. Il est reporté de manière générale que les morilles ont un goùt d'autant plus prononcé que la terre d'origine est lourde, il y aurait donc un effet de terroir impossible à reproduire hors sol.
- Les nombreuses discussions autour de ce procédé de culture convergent sur un point : le goût et l'aspect (couleur) des morilles de culture hors-sol ne valaient pas ceux des morilles de cueillette. Il est reporté de manière générale que les morilles ont un goùt d'autant plus prononcé que la terre d'origine est lourde, il y aurait donc un effet de terroir impossible à reproduire hors sol.
- Le brevet est étendu à la France sous le numéro EP0221157B1, ce qui implique que la méthode est désormais libre de droits en France depuis 2006 et que tout brevet s'en inspirant n'a aucune valeur légale sur l'ensemble du territoire européen. Ni dans le reste du monde d'ailleurs...
- La méthode Ower a été reproduite avec succès en 2010 par S. Masaphy selon la méthode suivante qui ressemble beaucoup au brevet de 1986 (traduite par mes soins) : "La phase de production des sclérotes a été accomplie en inoculant du terreau stérilisé (1h, 120°C) et tamponné avec du carbonate de calcium par une souche pure de Morchella rufobrunnea. le milieu ainsi inoculé a été placé sur une couche nutritive composée essentiellement de blé (également stérilisée, NDT) et l'ensemble a été incubé pendant 2-3 semaines à 18-25°C. La couche contenant les sclérotes (le terreau, NDT) a été conservée à 4°C jusqu'à la phase suivante de la procédure pendant laquelle les sclérotes (on suppose avec le terreau, NDT) ont été arrosés continuellement pendant 5-24 heures. Les sclérotes (on suppose avec le terreau) ont ensuite été incubés à 16-22°C pendant 2-4 semaines jusqu'à l'initiation puis le développement des ascocarpes." L’auteur précise que les sclérotes reforment d'abord du mycélium, puis passent par une phase Costantinella cristata, qui décline elle même avant de donner naissance à des ascocarpes. Les ascocarpes ne naissent donc pas directement des sclérotes. L'auteur ne précise ni le temps de vernalisation, ni le moment où la rupture de stérilité a été effectuée, ni si une couche de gobetage a été utilisée. On peut se référer au papier de Ower de 1982 et au brevet de 1986 pour tenter de boucher les trous : à peu près un mois de vernalisation, stérilité rompue dès la fin de la période d'incubation à 18-25°C et probable couche de gobetage composée de terre non stérile. Je suppose même un arrosage avec la couche de gobetage en place. Cette méthode n'a donné lieu à aucune application commerciale jusqu'à ce jour.
- La méthode Ower a été reproduite avec succès en 2010 par S. Masaphy selon la méthode suivante qui ressemble beaucoup au brevet de 1986 (traduite par mes soins) : "La phase de production des sclérotes a été accomplie en inoculant du terreau stérilisé (1h, 120°C) et tamponné avec du carbonate de calcium par une souche pure de Morchella rufobrunnea. le milieu ainsi inoculé a été placé sur une couche nutritive composée essentiellement de blé (également stérilisée, NDT) et l'ensemble a été incubé pendant 2-3 semaines à 18-25°C. La couche contenant les sclérotes (le terreau, NDT) a été conservée à 4°C jusqu'à la phase suivante de la procédure pendant laquelle les sclérotes (on suppose avec le terreau, NDT) ont été arrosés continuellement pendant 5-24 heures. Les sclérotes (on suppose avec le terreau) ont ensuite été incubés à 16-22°C pendant 2-4 semaines jusqu'à l'initiation puis le développement des ascocarpes." L’auteur précise que les sclérotes reforment d'abord du mycélium, puis passent par une phase Costantinella cristata, qui décline elle même avant de donner naissance à des ascocarpes. Les ascocarpes ne naissent donc pas directement des sclérotes. L'auteur ne précise ni le temps de vernalisation, ni le moment où la rupture de stérilité a été effectuée, ni si une couche de gobetage a été utilisée. On peut se référer au papier de Ower de 1982 et au brevet de 1986 pour tenter de boucher les trous : à peu près un mois de vernalisation, stérilité rompue dès la fin de la période d'incubation à 18-25°C et probable couche de gobetage composée de terre non stérile. Je suppose même un arrosage avec la couche de gobetage en place. Cette méthode n'a donné lieu à aucune application commerciale jusqu'à ce jour.
- Une thèse récente (2019) de Pennsylvania State University intitulée "Studies on the Molecular Identification, Biological Characteristics and Indoor Cultivation of Morchella spp." par Ge Siyi a montré que la souche utilisée par Mills, prélevée en 1998 et conservée dans l'azote liquide, est toujours fructifère en 2019. Le protocole indoor utilisé est très simple comparé à Ower (mais probablement très proche de la méthode originelle) et fait l'objet d'un article dédié sur le blog. Fait intéressant, Ge Siyi utilise directement de la terre crue dans son procédé indoor, ce qui semble indiquer que cette information cruciale pour la réussite du procédé Ower circule aux US dans le milieu universitaire et a minima parmi les cultivateurs chinois avec lesquels Ge Siyi a été en contact.
- De mon point de vue, seuls les Chinois ont réussi à reproduire commercialement le procédé Ower en comprenant l'intérêt de la culture en pleine terre, et c’est tout à leur honneur. La culture en plein champs permet de s'affranchir de l'étape à mon avis clef de la rupture de la stérilité du milieu et de bénéficier gratuitement des cycles climatiques. Les cultivateurs chinois ont donc probablement retrouvé le secret du brevet Ower par hasard. Le renouvellement continu des souches permet quant à lui d'éviter les dérives de culture. Malgré cela le rendement reste plus de 10 fois inférieur au procédé Ower (mais la méthode coûte moins cher). La réussite commerciale brillante de la méthode chinoise par rapport à la méthode américaine de culture des morilles (c'est là tout le génie de l'affaire) a consisté à découpler la filière amont, formateurs et vendeurs de souches de morilles qui engrangent les bénéfices, des producteurs eux-mêmes qui prennent tous les risques et éventuellement cultivent la morille à pertes.
Pour approfondir c’est par ici :
La méthode Ower et Mills (reproduite de sources internet plus ou moins fiables) et l'original du brevet. Il faut bien garder en tête qu'aucune de ces recettes n'a pu être reproduite par qui que ce soit autre que leurs auteurs, avec deux exceptions (Masaphy et Ge). La recette complète n'est donc certainement jamais donnée et/ou le savoir faire est un paramètre clef. On peut noter qu'entre les erreurs de traduction, les ajouts personnels, les bizarreries par rapport au brevet (les graines de gazon comme substrat, sérieux, ça sort d'où ce truc ?), les faux experts et les zones d'ombre concernant la rupture de la stérilité, mieux vaut en rester au brevet de 1986 et aux articles de Ower (1982) et Masaphy (2010). Tout ce qui a été communiqué publiquement par Mills ensuite me paraît être sujet à caution étant donné que celui-ci est toujours actif dans la culture des morilles.
Prochain article : Les méthodes de culture des morilles tirées d'internet
Bonsoir, dans le livre de Philippe Clowez, il est precisé " Ronald Dean Ower...après des années d'échecs sur sol sterilisé, il y parvint lorsqu'il eu l'idée incongrue de mélanger au sol du crottin de cheval frais."
RépondreSupprimerQu'en pensez vous ?
SupprimerBonjour. Pouvez-vous m'indiquer la référence du livre ? Je serai heureux de la partager.
SupprimerMalgré tout, je n'ai jamais lu ça même après avoir épluché tout ce qu'a écrit Stamets sur Ower et Ower lui-même, je me demande donc d'où vient cette information...
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